J’ai une élève de plus de 90 ans qui est venue me voir parce qu’elle commençait à éprouver des difficultés pour se déplacer et n’arrivait plus à faire ses courses. Après une série de leçons au cours desquelles elle s’est sérieusement impliquée, elle a retrouvé suffisamment de tonicité pour sortir régulièrement à nouveau et accomplir démarches ou emplettes. Nous sommes réjouis de ce résultat tangible.
Ne voilà-t-il pas que récemment, au cours d’une leçon, une observation provoque notre déception : une de ses habitudes posturales debout est de se tenir avec les pieds en V. Lorsque je lui demande d’écarter ses talons pour réduire légèrement l’angle du V, elle ressent l’impression que ses pieds sont tournés vers l’intérieur, perception sensorielle fausse évidemment, comme nous pouvons le voir lorsqu’elle regarde la position de ses pieds.
Or, plus nous améliorons notre équilibre et devenons coordonnés grâce à la formation de Technique Alexander, plus notre perception sensorielle devient juste et cesse de nous tromper.
Passé le désappointement, la situation révèle en fait une chose très importante : rien n’est jamais acquis au cours ou après une formation de Technique Alexander : les habitudes sont trop fortes qui interfèrent avec notre relation dynamique tête/cou/dos ; elles peuvent resurgir à tout moment. Il est donc nécessaire de renouveler l’activité de l’esprit grâce à laquelle nous agissons de manière coordonnée, en évitant les tensions inutiles, à savoir, penser à libérer notre cou, laisser notre tête se diriger vers l’avant et vers le haut, notre dos s’allonger et s’élargir.
Le professeur, comme l’élève n’échappent pas à ce travail permanent.
Mais alors, me direz-vous : « il faut passer son temps à se prendre la tête ! ». Pas vraiment en réalité : à chaque fois que nous arrêtons de nous jeter dans l’action pour penser quelques instants à la manière dont notre corps et notre mental vont la réaliser, nous stimulons des connexions et des équilibres naturels. Même si nous ne le faisons que quelques minutes, voire quelques secondes, par jour, il en restera toujours quelque chose. Nous sommes libres d’accomplir, ou non, ce travail à tout moment !
Bonjour M. Mangin,
Cette réflexion sur le lien entre corps et esprit (ce que les grecs appellent « psycho-somatie ») est très intéressante et mérite à mon sens largement d’être développée. Moi-même, qui ne suis pas grande connaisseuse de la technique Alexander, ai beaucoup de mal à me tenir droite : dès que j’essaye de « faire bien », je sens au contraire que je tire sur ma colonne et que ma position est mauvaise – du moins elle me semble mauvaise.
D’où viennent ces mauvaises habitudes et pourquoi reviennent-elles sans cesse ?
Delphine.
Bonjour Delphine,
L’être humain s’appuie sur des habitudes pour fonctionner : imagine-t-on, tous les matins, devoir se remémorer la méthode ou relire un mode opératoire avant de se brosser les dents !
Il y a en revanche des habitudes utiles, et des habitudes qui interfèrent avec notre relation dynamique naturelle tête/cou/dos. Ces dernières sont nuisibles : elles entravent le fonctionnement correct de notre personne tout entière, le corps et la pensée. Elles se sont développées au cours du temps, à partir de l’âge de 4 ans environ, lorsque nous avons commencé à nous asseoir tassés pendant de longues heures, la main souvent crispée sur un crayon, pour apprendre à écrire et à lire. Puis nous avons continué, pendant nos études, en voiture, au bureau, sur notre poste de travail, devant notre ordinateur, notre poste de télévision (ah, comme notre avachissement sur notre canapé nous semble confortable ; pourquoi s’en priver !),…Nos habitudes nous sont familières, utiles, génèrent des sensations de confort, alors le changement nous apparaît étrange, notre position nous semble « mauvaise », comme vous le faites remarquer. C’est pourquoi la Technique Alexander ne nous apprend pas des « bonnes postures », mais simplement à détendre notre cou, et nous diriger correctement, afin d’éviter les habitues nuisibles. Cela se fait tout seul avec un peu de pratique. Évitons de faire la chose mauvaise, la bonne chose se fera d’elle-même, puisqu’elle correspond à notre manière naturelle de fonctionner.
Bien cordialement.
Michel Mangin.